
Afin de poursuivre nos articles autour de Spark Ajantâ et pour agrémenter la sortie prochaine de Spark Ajantâ SP1, nous vous proposons un article du Professeur Michel HUGUIER que nous remercions pour son clin d'œil. Il a visité le site d'Ajantâ et nous fait part de son témoignage.
Quelle ne fut pas la stupeur des soldats britanniques qui, en 1819, chassant le tigre le long de la rivière Vaghorâ à 500km à l’est de Bombay, découvrirent dans la falaise abrupte d’un ravin semi circulaire ce qui ressemblait à des entrées de grottes. Ils y pénétrèrent et dans l’obscurité, furent éblouis en s’apercevant que ces excavations, profondes, étaient des temples creusés par l’homme. Mais ils ont surtout été frappés par de majestueuses sculptures et surtout des fresques de toute beauté, manifestement d’inspiration bouddhiste. Ils venaient de redécouvrir les grottes d’Ajantâ en Inde, dans l’État du Maharashtra.
Suivons le chemin taillé dans la roche à flanc de la falaise, montons et descendons en fonction des entrées des grottes. La façade de l’entrée de certaines d’entre elles est sculptée en arche outrepassée, le kudû. Pénétrons dans l’une des plus vastes et des plus anciennes. Elle remonte au deuxième siècle avant notre ère. Elle est divisée en trois nefs par des piliers que les carriers, auteurs de ces excavations, ont su réserver. Au fond de la nef principale, un tumulus avec sur sa façade une image du Bouddha représentant le Bienheureux. En effet, ces temples, chaitya, étaient seulement des monuments commémoratifs du Bouddha, vides de reliques.
Après une période de stagnation, probablement parce que les religieux n’étaient plus assez nombreux et opulents pour continuer à s’agrandir, les communautés bouddhiques ont eu une seconde période de prospérité du Vème au VIIème siècle au cours desquels vingt-trois grottes vinrent s’ajouter aux six anciennes. À côté des chaitya, d’autres grottes, plus nombreuses, étaient d’amples salles rectangulaires avec des cellules destinées aux moines.
Si le site d’Ajantâ offre de belles sculptures, ce sont surtout les peintures qui ornent parois et plafonds des grottes qui en font toute la célébrité. Nous sommes devant des chefs-d’œuvre que l’on pourrait audacieusement comparer, par leur qualité et leur ampleur, aux chambres de Raphaël du Vatican. Ce sont des scènes de vies antérieures du Bouddha, les Jakata. En dépit de leur caractère religieux, mur après mur, plafond après plafond, au gré des scènes qui se suivent et s’enchainent savamment les unes aux autres, les tableaux chatoyants d’univers insolites et troublants sont fait de beauté sensuelle et lascive. Ce sont des scènes de cour avec des danseuses entourées de musiciennes. Ce sont des effets chromatiques obtenus par la diversité des carnations juxtaposées des personnages. Ici, la science des contours et des formes, chère à l’art indien se manifeste dans toute sa perfection ainsi que dans son équilibre maîtrisé. Les représentations animalières sont rares, gazelles, éléphants.
Dans une Jakata, Bouddha, d’un geste, apaise l’éléphant furieux. Une autre, émouvante, représente l’histoire du jeune éléphant blanc. Un jour, celui-ci se porta au secours d’un garde forestier qui avait perdu son chemin dans les forêts profondes. L’homme avait appris que l’éléphant royal du souverain de Bénarès était mort et qu’une généreuse récompense était offerte à qui amènerait au roi une monture digne de lui. Il s’empara de l’éléphant blanc et le porta au roi. Mené dans l’écurie royale l’éléphant refusa toute nourriture, désespéré d’être séparé de ses parents et de ne pouvoir subvenir à leurs besoins. Touché par cette piété familiale, le roi rendit sa liberté à l’éléphant qui partit retrouver les siens.
La beauté sauvage du site d’Ajantâ, la richesse et l’ancienneté des peintures de ses grottes justifie amplement que cet ensemble ait été classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987.
Michel HUGUIER
Professeur honoraire de chirurgie digestive
Secrétaire de la commission Financement des dépenses de santé ; Assurance maladie à l'Académie nationale de Médecine
Publié le 12 juin 2019
Références
- Frédéric L. L’art de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est. Paris, Flammarion, 1994 : 480 pages.
- Okada A, Nou JL, Bareau A. Ajanta. Paris, Imprimerie nationale, 1991 : 223 pages.
Rappel