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L’archivage à l’épreuve de la photographie (partie 2)

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janvier 2020

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Frédéric Vergoz, Chef de Projet Spark Archives et passionné de photographie, nous propose la suite de son premier article autour de l’archivage à l’épreuve de la photo. Si vous le souhaitez, vous pouvez relire son premier article publié sur notre blog.

Les évolutions technologiques ont permis d’envisager de faire une place à la numérisation dans les services d’archives. L’idée alors était d’apporter une réponse simple à un besoin important, celui de faciliter l’accès à des documents, sans les abîmer. Les premiers documents concernés furent les registres d’état civil, les registres paroissiaux et tous les autres documents consultables (registres de délibération, plans cadastraux, etc.).

Très naturellement s’est posée la question de la préservation des fonds photographiques analogiques au travers d’une numérisation, car il est tentant de remplacer les différents supports matériels par des pendants numériques. Sans numérisation, toute communication de clichés analogiques ne peut être envisagée qu’en procédant à de nouveaux tirages. Avec la numérisation, un fichier informatique en haute résolution de l’image est créé, ce qui permettra d’obtenir ultérieurement autant de copie numérique que nécessaire, à des résolutions différentes et adaptées aux besoins.

C’est ainsi que le Service interministériel des Archives de France a mis en place un socle permettant de répondre aux diverses interrogations liées à la numérisation, comme :

  • les normes professionnelles en matière de numérisation,
  • des conseils sur les politiques de numérisation,
  • des exemples de cahiers des charges pour les prestataires,
  • des aides à la mise en œuvre technique de la numérisation,
  • des recommandations sur les caractéristiques des fichiers images.

Numériser, oui. Mais numériser quoi ?

Prenons l’exemple du fonds photographique de presse dit « du Matin ». Ce dépôt a été fait au Musée de la Résistance Nationale en 1987 avant d’être transformé en don 7 ans plus tard. « Le Matin », né en 1884, était l’un des 4 grands de la presse quotidienne parisienne du début du XXe siècle. Après une brève fermeture au début de la 2GM, il rouvrit dès 1940 avec l’aval de l’occupant. Son statut particulier lui permit de couvrir des sujets comme l’occupation et ses effets ou la politique de collaboration de l’État français (le STO, les rafles). Ce fonds photographique est conséquent, avec pas moins de 12 tonnes de documents. Il est considéré par de nombreux chercheurs comme une vraie mine d’or patrimoniale de ces années.

Au vu des presque 320 000 documents analogiques, les responsables se sont retrouvés face à des choix à faire. La numérisation étant une activité longue et coûteuse, une réflexion a été menée sur ce qui devait être numérisé ou pas. Ainsi, des mesures parfois drastiques ont été prises, comme écarter tout ce qui était en mauvais état ou d’un intérêt relatif. Le but étant de privilégier le matériel inédit ou doté d’un intérêt historique fort. Un énorme travail préalable, mais nécessaire.

La numérisation des fonds photographiques analogiques

Suivant les époques des prises de vue, les supports d’un fonds photographique pourront être variés. Si le support négatif domine, les vieux clichés peuvent utiliser d’autres supports comme les plaques de verre… ou du carton ! Des supports physiques fragiles (parfois trop) pour être manipulés de manière régulière. Ce risque est d’autant plus accru qu’ils sont anciens. D’où l’idée d’un recours à la numérisation dans une résolution suffisante pour tous les types d’exploitation à venir.

S’il peut exister diverses écoles quant à la façon de procéder, toutes semblent converger sur le fait que la copie numérique obtenue par la numérisation doit être brute, non post-traitée (c’est-à-dire pas de recadrage ou de corrections, bords francs conservés ainsi que d’éventuelles mentions). À l’issue de cette numérisation, des métadonnées permettant d’identifier numériquement le fichier seront ajoutées. L’image sera alors sauvegardée dans un format non comprimé (le TIFF essentiellement) afin d’éviter toute dégradation. Cette version initiale devra toujours être conservée en l’état, car elle sera la seule à être la copie conforme de la version analogique… Du moins jusqu’à une numérisation ultérieure avec du matériel plus sophistiqué.

À partir de cette image « brute », un travail parfois important va être effectué par des opérateurs spécialisés. Différents traitements vont être appliqués, dans le but de retrouver la « vision d’origine de l’auteur ». Cela ira du recadrage à l’interprétation positive d’une image négative, en passant par la restauration des couleurs et le nettoyage des outrages du temps (griffures, déchirures, etc.). Cette version restaurée, conservée elle aussi en haute résolution non compressée, permettra ensuite la création des images pour une exploitation des fonds (dans le respect du droit d’auteur évidemment).

La numérisation est donc une réponse élégante à de nombreuses demandes tout en préservant les supports d’origine.

La numérisation fidèle et la déclaration de Florence

Dès les débuts de la numérisation des fonds photographiques argentiques s’est posé une question importante sur la conservation des supports originaux. Pour des raisons de place, de lieux appropriés et de budget, de nombreuses personnes ont été partisans de leur destruction. Pourquoi conserver des espaces de stockage pour des plaques de verre ou du papier si fragiles, à partir du moment où son pendant numérique « brute » existait ? D’un point de vue comptable, il s’agit d’une aberration.

Pourtant la question n’aura pas dû être posée. Pour plusieurs raisons.

L’aspect artistique

D’un point de vue strictement artistique, doit-on détruire volontairement l’artefact originel sous le prétexte que des répliques réelles ou informatiques existent ? La levée de boucliers serait importante si on appliquait cette doctrine à La Joconde ou au David de Michelangelo. Or c’est ce qui a été proposé pour les photographies, leur déniant ainsi tout aspect artistique ou historique.

L’aspect technologique

Les technologies employées conditionnent les méthodes de transmission, de conservation et d’utilisation des documents. La technologie étant en perpétuelle évolution, la numérisation d’aujourd’hui ou d’hier ne sera pas celle de demain. Elle pourrait être plus puissante, offrant plus de possibilités, plus de détails. Détruire l’artefact original interdirait toute possibilité d’amélioration de la qualité. C’est, de ce point de vue, un non-sens.

L’aspect physique

Une photo analogique et sa reproduction numérique sont physiquement des objets distincts, chacun ayant des caractéristiques différentes. Par exemple, toutes les caractéristiques tactiles des photos analogiques ne peuvent être reproduites par la numérisation. Il en est de même pour les qualités visuelles et matérielles qu’aujourd’hui la numérisation ne peut reproduire en totalité. La complexité du fichier numérique produit est donc plus simple, moins complexe, réduisant ainsi le périmètre de certaines recherches.

Si le format numérique a de nombreux avantages, il n’en reste pas moins que la reproduction proposée reste partielle. Ce qui ne permet pas à un fonds photographique numérique issu de la numérisation d’un fonds photographique analogique de se substituer totalement au second. C’est fort de ces constatations que la déclaration de Florence a été présentée le 31 octobre 2009 par l’Institut Kunsthistorisches(*) qui s’est fait le porte-drapeau de nombreux archivistes. Il s’agissait d’alerter et plaider pour la conservation des fonds argentiques après leur numérisation.

En France, la BnF a fait de la numérisation une priorité et est organisée pour numériser différentes typologies de document dont : les livres reliés (majorité) ; la presse ; les collections spécialisées : photographies, estampes, cartes, plans, etc. ; les  livres exceptionnels : livres les plus précieux issus de la réserve des livres rares et de la bibliothèque de l’Arsenal . La BnF s’appuie sur ses référentiels de numérisation dont celui des documents opaques pour les photographies.

Références BnF :

L’aspect normatif

Enfin, plusieurs normes internationales pilotées par l’ISO/TC 42 JWG26, et le groupe de travail ISO/TC 42-TC 46/SC 11-TC 171 WG sont disponibles.

On notera en particulier les travaux suivants à l’ISO :

  • « ISO 19262:2015 » : Photographie — Systèmes d’archivage — Vocabulaire
  • « ISO/TR 19263-1:2017 » : Photographie — Systèmes d’archivage — Partie 1: Meilleures pratiques pour la capture d’images numériques du matériel de patrimoine culturel 
  • « ISO/TS 19264-1:2017 » :  Photographie — Systèmes d’archivage — Analyse de la qualité d’image — Partie 1: Documents réfléchissants

(*) L’Institut Kunsthistorisches a pour but de faire comprendre l’importance fondamentale des photos analogiques et des archives photographiques pour l’avenir des arts, des sciences humaines et sociales.